La loi prêt-bail

Forces nouvelles 17/5/1945

 

« Vaste système de troc international »

 

Entre les deux guerres, les  États-Unis ont vécu repliés sur eux-mêmes, dans le splendide isolement. Au point de vue économique, il s'entourent de barrières douanières chaque jour plus élevées. Au point de vue politique, toutes les précautions sont prises pour que le pays ne soit entraîné dans aucun conflit. Le Sénat a refusé la participation à la SDN, il a repoussé les garanties d'assistance mutuelle. Il a fait plus, et c'est la fameuse loi de neutralité mettant l'embargo sur toutes les exportations de matériel de guerre. Au point de vue financier, par suite de la loi Johnson de 1934, les  États-Unis ne peuvent pratiquement plus  consentir d'avances aux pays étrangers.

Les  États-Unis s’étant trouvés entraînés dans la conflagration mondiale, tout cet appareil législatif qui n'était plus seulement inadapté, mais périlleux, devait tomber.

Ce fut d'abord la levée de l'embargo sur les exportations. Toutefois, celles-ci demeurent régies par la clause « cash and carry ». C'est sous ce régime que s'est faite en 1939, l'aide aux Français et aux Anglais. Les  États-Unis leur fournissent du matériel de guerre, mais dans la mesure seulement où ces pays paient comptant et prennent eux-mêmes livraison.

Toutefois, les disponibilités de la Grande-Bretagne tombent rapidement.  En 1941, il paraît clair que celle-ci ne pourra plus continuer longtemps à se fournir aux  États-Unis. C'est alors que le président Roosevelt obtenait, le 11 mars 1941, le vote de la loi prêt et bail (« loi destinée à renforcer la défense des  États-Unis » puisque tel est son vrai nom).

L'économie de cette loi est la suivante : elle autorise le président à mettre à la disposition de tout pays dont il considère la défense comme vitale pour la sécurité des  États-Unis tous moyens matériels jugés utiles pour cette défense. L'aide ainsi fournie est accordée « moyennant les clauses et les conditions que le président juge satisfaisantes et la contrepartie, pour les USA, consistera en un paiement ou remboursement en nature ou en biens, ou en tout autre avantage direct ou indirect que le président jugera satisfaisant ».

Notons tout de suite que l'aide réciproque que les Alliés s'accordent sous le régime du prêt-bail porte sur des ressources en nature et non sur des moyens financiers. C'est « un vaste système de troc international » portant sur des matières, des marchandises ou des services.

L'importance pratique de la loi prêt-bail fut considérable. Quelques chiffres suffiront à la situer.

De mars 1941 à fin 1943, les fournitures faites par les  États-Unis au titre du prêt-bail ont atteint 20 milliards de dollars, dont 9 milliards pour la Russie. En 1944, la valeur des fournitures aura été de plus de 1 milliard par mois et trente-cinq pays en auront bénéficié.

Notons que les contreparties des pays alliés ont été, jusqu'à présent, beaucoup plus faibles.

En ce qui nous concerne, nous sommes devenus partie aux accords réciproques de prêt-bail par deux actes signés le 3 septembre 1942 et le 25 septembre 1943. Jusque-là, la France n'avait participé qu'indirectement au prêt-bail par le truchement de l'Angleterre.

Un nouvel accord vient d'être signé le 1er mars 1945 par M. Jean Monnet. Il est d'une beaucoup plus grande ampleur que les précédents. Il s'étend, en effet, au programme d'importations civiles et aux commandes alliées à l'industrie française. Il comporte de nombreuses matières premières (coton, caoutchouc, pétrole, etc.) et des produits finis (locomotives, wagons, matériel portuaire, etc.). Des modalités particulières sont prévues pour le règlement. En ce qui concerne notamment les importations civiles, une partie des marchandises sera payée comptant en or ou devises appréciées, une autre partie sera achetée sous le prêt-bail direct et le reste fera l'objet de crédits à long terme.

Le règlement final des importations faites sous le régime du prêt-bail soulèvera certainement de graves difficultés. Sans doute, en ce qui nous concerne, avons-nous déjà fourni une forte contrepartie, sous la forme, difficilement évaluable il est vrai, de prestations de services. Notre pays est, en effet, la principale base d'opérations des Alliés. Il paie de ce fait, sur ses ressources, toutes les réquisitions pour le compte des armées alliées, la main-d’œuvre qu'elles utilisent, ainsi que les transports effectués pour leurs besoins (plus d'un tiers des wagons de notre parc). D'autre part, à peu près toute notre flotte marchande (900 000 tonnes) est incorporée au pool interallié. À ces prestations s'ajoute une fourniture de 400 000 tonnes de charbon par mois.

Néanmoins la question des remboursements se posera. Or, un pays ne peut payer qu'en exportant. Les  États-Unis renonceront-ils à leur ancien protectionnisme pour permettre à leurs débiteurs de s'acquitter ? La voie où les USA sont engagés exige une révision complète de leur politique économique. La loi prêt-bail va peut-être plus loin encore que le Congrès ne l'avait pensé en la votant.

 

Le monde à la poursuite de la paix